Nietzsche Hubert alles
il y a 14 années
Il nâaura Ă©chappĂ© Ă aucun observateur attentif des textes et des interviews accordĂ©es par Hubert que la rĂ©fĂ©rence Ă Nietzsche y est assez frĂ©quente, ou en tout cas importante. Il disait encore il y a peu (HFT News n°10 p4) : « Je suis alors obligĂ© de me dĂ©passer, ce qui est toujours un rĂ©el plaisir pour moi. Câest mĂȘme nietzschĂ©en, et Nietzsche nâest pas nâimporte quoi dans ce que je fais. » Also sprach Hubert Felix.
Il ne sâagit nullement ici dâexpliquer Ă sa place le sens quâil donne Ă une telle rĂ©fĂ©rence mais dâoffrir simplement quelques Ă©claircissements sur Nietzsche, quelques pistes que chacun intĂšgrera comme il lâentendra Ă sa propre lecture de lâĆuvre thiĂ©fainienne. Il nâest dâailleurs pas certain que lâintĂ©ressĂ© lui-mĂȘme se reconnaisse dans ce qui va suivre, mais la richesse dâune Ćuvre dâart ne rĂ©side-t-elle pas dans la multiplicitĂ© des interprĂ©tations quâelle suscite ? De mĂȘme, il ne sâagit nullement de laisser entendre que cette Ćuvre se ramĂšnerait Ă une simple mise en musique de la pensĂ©e nietzschĂ©enne : elle a sa cohĂ©rence propre, ses sources propres, sa valeur propre, et lâinverse serait toutâŠsauf nietzschĂ©en ! Disons simplement que, pour des raisons que nous allons tenter dâĂ©tablir au moins partiellement, Nietzsche est (avec DiogĂšne !) le philosophe le plus en phase avec ce que fait Hubert. Au risque de faire hurler « les sycophantes et les thĂ©oriciens » (1), on peut avancer que Nietzsche est assurĂ©ment le plus « rock nâroll » de tous les philosophes.
Rares sont les penseurs qui aient provoquĂ© une vĂ©ritable rupture dans lâhistoire des idĂ©es, une fracture nette et sans bavure dans la continuitĂ© ronronnante des thĂšses et des antithĂšses : Nietzsche est de ceux-lĂ . La quasi-totalitĂ© des doctrines philosophiques sâinscrit, au-delĂ des diffĂ©rences et des contradictions, Ă lâintĂ©rieur dâun systĂšme de valeurs commun, fondĂ©, pour dire les choses rapidement, sur lâattachement au Vrai, au Bien et au Beau. Nietzsche, lui, est en dehors de ce consensus. Sa critique est radicale, au sens propre du terme, câest-Ă -dire quâelle sâattaque Ă la racine des choses : elle ne sâen prend pas Ă ce que nous pensons mais aux instruments-mĂȘmes que nous utilisons pour penser, aux prĂ©jugĂ©s fondamentaux sur lesquels sont assises nos pensĂ©es, au fait-mĂȘme que nous pensions. A cet Ă©gard, il y a bien un « avant Nietzsche » et un « aprĂšs Nietzsche ».
La prĂ©sentation dâun auteur dĂ©bute classiquement par une biographie. Disons-le tout net : lâexercice est ici impossible. Faute de place, bien sĂ»r (il en existe une, Ă©crite par Charles Andler : elle fait 1800 pages !), mais aussi parce quâelle violerait, dans sa linĂ©aritĂ© et son objectivitĂ©, la pensĂ©e-mĂȘme de Nietzsche. En effet, celui-ci dĂ©testait lâhistoire supposĂ©e « scientifique » et ce quâelle implique de soumission passive aux « faits » : pour lui, tout est choix, interprĂ©tation subjective. Abordons donc en nietzschĂ©en lâhistoire de Nietzsche, pour nây relever que ce qui fait sens au regard de la dĂ©marche qui est ici la notre, ce qui « parle » Ă un aficionado dâHFT.
Friedrich Nietzsche est biologiquement nĂ© en 1844, dans une famille extrĂȘmement pieuse : sa mĂšre est issue dâune famille de pasteurs, son pĂšre est pasteur, et lui-mĂȘme se destinera un temps Ă ce ministĂšre. Il est placĂ© Ă quatorze ans dans une Ă©cole luthĂ©rienne oĂč il lit les classiques grecs et latins. Mieux, il baigne littĂ©ralement dans la culture grĂ©co-latine. La discipline rigide du lieu ne lui offre pour toute Ă©chappatoire que la pratique clandestine de la poĂ©sie. « Je vĂ©cus dans le culte secret de certains arts », Ă©crit-il. Plus tard, entrĂ© Ă lâuniversitĂ© dâIĂ©na, il fait la rencontre livresque de celui qui deviendra son maĂźtre avant de devenir son repoussoir : Schopenhauer. Il trouve chez lui quelques-uns des grands thĂšmes structurants de son Ćuvre future : le monde nâest que la reprĂ©sentation que nous en avons, il est Ă ce titre une sorte dâillusion, et lâest dâautant plus que nous le croyons rĂ©gi par une certaine logique alors quâil est profondĂ©ment absurde, ce qui le rend, pour lâhomme, tragique et douloureux. Il est le lieu dâune volontĂ© aveugle, le « vouloir-vivre », qui sâexprime en nous sous la forme dâun dĂ©sir tout aussi tragique car Ă jamais insatiable.                  EngagĂ© comme infirmier durant la guerre de 1870, Nietzsche en reviendra physiquement et psychiquement meurtri, plus que jamais habitĂ© par le pessimisme, le sens du tragique, la conscience aiguĂ« de lâabsurditĂ© du monde. Le voilĂ dĂ©sormais Ă la fois acteur et spectateur dâun naufrage : celui du rationalisme triomphant. LâexpĂ©rience de cette guerre marquera de façon indĂ©lĂ©bile lâĆuvre de Nietzsche, comme la guerre de 14-18 marquera celle de Freud, Cendrars, CĂ©line, Breton (le « pape » du surrĂ©alisme, lui-mĂȘme infirmier psychiatrique au front), ou comme la guerre du Vietnam marquera bien des auteurs amĂ©ricains. Câest la dette de lâartiste envers le boucher.
En 1872, il publie « La naissance de la tragĂ©die ». Cette premiĂšre Ćuvre, par lâincomprĂ©hension quâelle suscite, constitue aussi le point de dĂ©part dâun long processus de rupture avec lâenvironnement social. Nietzsche passera lâessentiel de sa vie dans la solitude la plus radicale, la plus « fastueuse » qui se puisse imaginer. Sa vie tout entiĂšre ne sera plus quâune « longue nuit de loup-garou ». Une vie dâerrance, aussi : BĂąle, Sils-Maria, Rome, Nice, Menton, GĂȘnes, Venise (la ville aux « cent profondes solitudes »), il est Ă la fois partout et nulle part. « Errer humanum est ». Au fur et Ă mesure que sâaccumulent les Ćuvres gĂ©niales, Nietzsche sâenfonce dans une nuit intĂ©rieure toujours plus insondable. Il est dĂ©finitivement insomniaque. Par trois fois, il manque son suicide. A partir de 1889, Nietzsche sombre dans la folie. « Chacun son parachute », oui, mais le sien ne sâest pas ouvert. On attribue souvent le phĂ©nomĂšne Ă une syphilis mal soignĂ©e. Peut-ĂȘtre vaut-il mieux lire Nietzsche : « Câest la dĂ©mence qui fraye la voie de la pensĂ©e neuve, qui lĂšve lâinterdit dâune coutume, dâune superstition respectĂ©e. (âŠ) Tous les hommes (âŠ) qui se sentirent irrĂ©sistiblement poussĂ©s Ă briser le joug dâune moralitĂ© quelconque et Ă instaurer de nouvelles lois nâeurent pas dâautre solution, sâils nâĂ©taient pas rĂ©ellement dĂ©ments, que de se rendre dĂ©ments ou de se donner pour tels ». La folie, apanage de ceux qui se sont approchĂ©s trop prĂšs du gouffreâŠou de la lumiĂšre. On peut lire Nietzsche, ou Ă©couter Hubert : « Lâartiste est un marginal, quelquâun qui souffre dâun manque de normalitĂ©. Lâart est le pont entre la sociĂ©tĂ© et cette personne pas trĂšs nette. Lorsque ce pont est impossible, on ne parle plus dâartiste mais de fou. La frontiĂšre est mince avec la folieâŠÂ ». AprĂšs dix annĂ©es passĂ©es dans le « silence » de la folie, Nietzsche meurt biologiquement Ă Weimar, en 1900.
Beaucoup dâauteurs ont philosophĂ© sur lâart, Nietzsche a philosophĂ© en artiste. Au-delĂ mĂȘme du fait quâil se soit essayĂ© Ă la musique ou quâil ait publiĂ© un recueil de poĂ©sie (« Dithyrambes Ă Dionysos »   , tout un programme !), la pensĂ©e de Nietzsche est dâessence artistique, et plus prĂ©cisĂ©ment musicale. Contrairement Ă la majoritĂ© des penseurs, il ne fabrique pas de systĂšme, ne bĂątit pas de cathĂ©drale dâidĂ©es : en grand lecteur de Montaigne et de Pascal, il Ă©crit sous la forme de notations ponctuelles, de pensĂ©es courtes, les aphorismes. En une ligne ou en quelques pages, il jette un fulgurant Ă©clairage sur une portion du « rĂ©el » jusquâalors inaperçue du commun des mortels, ouvre sous nos pieds un abĂźme dâune vertigineuse profondeur, dĂ©truit dâun seul coup de marteau un prĂ©jugĂ© multisĂ©culaire. Certains de ces aphorismes ont la gravitĂ© mĂ©lancolique du violoncelle, dâautres la lĂ©gĂšretĂ© dansante du fifre. Il conçoit leur agencement comme un musicien construit sa musique, avec des thĂšmes qui apparaissent, puis sont dĂ©veloppĂ©s, se rĂ©pondent, sâinversent, etc. Son « Ainsi parlait Zarathoustra » est Ă©crit comme un long poĂšme philosophique, et inspirera Ă Richard Strauss la symphonie du mĂȘme nom. « La forme, câest le fond qui remonte Ă la surface » : cette phrase dâHugo (Victor !) semble avoir Ă©tĂ© Ă©crite pour Nietzsche. En effet, cette maniĂšre de composer son Ă©criture est sous-tendue par la profonde conviction que le monde est fondamentalement fluide, mouvant, protĂ©iforme, dĂ©nuĂ© de toute permanence, perpĂ©tuellement traversĂ© de rapports de force et de contradictions. DĂšs lors, comment tenir un discours qui puisse ĂȘtre « vrai » Ă propos de tout, partout et toujours ? Telle est pourtant la suprĂȘme prĂ©tention de la religion, de la mĂ©taphysique et de la science. On a souvent reprochĂ© Ă Nietzsche ses contradictions. Force est de constater quâelles sont lĂ©gion. Mais est-ce Nietzsche lui-mĂȘme qui est contradictoire, ou la « rĂ©alité » quâil dĂ©crit, voire quâil recrĂ©e ? Il nous propose un rapport au monde comparable Ă celui que nous suggĂšre Monet lorsquâil peint seize fois la cathĂ©drale de Rouen, dont quatorze sous le mĂȘme angle, Ă diffĂ©rentes heures de la journĂ©e et sous diffĂ©rents types de ciels : saisir une fugitive vibration de la lumiĂšre, voilĂ tout, et voilĂ lâessentiel. DĂšs lors, quel sens y aurait-il Ă demander Ă un artiste dâĂȘtre « cohĂ©rent » ? « Au fond, quand je dis que je dĂ©teste lâhumanitĂ©, câest totalement faux ; car quelque part, je suis passionnĂ© par les gens. Ca fait partie des contradictions que jâessaie dâassumer par la dĂ©chirure », dit Hubert. Il nây a pas meilleure maniĂšre de tuer lâart que de demander aux artistes, pour notre confort, de dĂ©fendre toujours les mĂȘmes positions, dâĂ©crire toujours le mĂȘme livre, dâenregistrer toujours le mĂȘme album. A bon entendeurâŠ
On comprendra aisĂ©ment, Ă partir de ce que nous venons de dire du caractĂšre « musical » de lâĆuvre de Nietzsche, en quoi il est pratiquement impossible de faire de celle-ci une prĂ©sentation synthĂ©tique et fidĂšle : rĂ©sume-t-on une Ćuvre dâart ? Câest pourquoi nous procĂšderons ici par thĂšmes, par Ă©clairages successifs ou entrelacĂ©s, sans prĂ©tendre Ă une quelconque « objectivité ».
Lâune des multiples portes dâentrĂ©e dans la pensĂ©e nietzschĂ©enne pourrait ĂȘtre la question du tragique. En effet, nous sommes tous, Ă lâinstar du hĂ©ros tragique, jetĂ©s dans une vie qui nous confronte sans cesse Ă lâabsence de signification et de finalitĂ© des choses (Sartre, une autre rĂ©fĂ©rence dâHubert, nâest pas loin), au jeu de forces qui nous dĂ©passent mais qui nâallĂšgent en rien notre sentiment de responsabilitĂ©, aux conflits insolubles, aux situations sans issue. Cette tension est celle de la vie-mĂȘme. Vivre, câest faire Ă chaque instant lâexpĂ©rience de lâirrĂ©versibilitĂ©, de lâimprĂ©visibilitĂ©, de la dĂ©mesure et du paradoxe. Mais que lâon ne sây trompe pas, il nây a pas lĂ matiĂšre Ă larmoyer sur son sort, bien au contraire ! Ce nâest que dans la conscience virile de ce caractĂšre tragique de la vie que lâon puisera lâĂ©nergie vitale pour avancer : pas de meilleur moteur que le pessimisme nietzschĂ©en ! « Apprends donc Ă tenir ta laisse/Tâes pas tout seul en manque de secours/La tristesse est la seule promesse/Que la vie tiens toujours ». Lâoptimiste, câest celui qui ne vit pas Ă force de croire que tout va sâarranger, qui ne prend aucun risque, qui ne fait son deuil dâaucune option, qui ne mise rien dans le jeu parce quâil ne veut rien perdre. « Ca va aller », dit-il, enlevant ainsi Ă la vie tout ce quâelle peut avoir de surprenant, de dĂ©stabilisant, de troublant, bref, tout ce qui en fait le sel. Câest lâimage mĂȘme du bonheur bourgeoisâŠcette petite mort. Le tragique de Nietzsche est joyeux (comme un certain rock !), car il pose que rien nâest donnĂ©, tout est Ă construire, Ă conquĂ©rir, âŠet tout peut ĂȘtre perdu. On ne danse bien quâau bord du volcan. Il nây a de vrai bonheur possible que par et dans le tragique. « Piment et alcool fort », dirait Hubert !
Câest lĂ quâentre en scĂšne cette figure majeure du panthĂ©on nietzschĂ©en quâest Dionysos, dieu de la poĂ©sie et de la musique, du vin et de lâivresse, mais aussi du tragique. Il symbolise cette tendance de la vie Ă sâarracher perpĂ©tuellement Ă toute forme Ă©tablie, Ă sâaffirmer dans la souffrance de la dĂ©chirure, Ă Ă©pouser le mobilisme universel dans lequel toutes les formes se crĂ©ent et se dĂ©font sans cesse, comme les vagues dâun ocĂ©an. Dionysos est un dieu tourmentĂ©, au destin chaotique, qui vit en sâenivrant de la vie, qui meurt pour mieux renaĂźtre Ă chaque printemps (« jâaime ceux qui ne savent vivre quâĂ condition de pĂ©rir, car en pĂ©rissant, ils se dĂ©passent », dit Zarathoustra. Ca ne vous rappelle pas quelquâun ? !). Câest le dieu du dĂ©lire crĂ©ateur, qui inspire le poĂšte, et rend Ă jamais mystĂ©rieux lâacte de crĂ©ation, y compris pour lâartiste lui-mĂȘme. Figure mythologique de lâinconscient freudien, peut-ĂȘtre. Nietzsche lui oppose une autre figure, celle du dieu de la mĂ©decine et de la lumiĂšre, de lâordre et de la mesure, de la vĂ©ritĂ© et de lâharmonie : Apollon. Il symbolise cette autre tendance de la vie Ă se donner une forme dĂ©finie et achevĂ©e. Il est alors principe dâindividuation, de perfection plastique, de belle apparence. Si Nietzsche lui prĂ©fĂšre Dionysos, câest prĂ©cisĂ©ment parce quâApollon est immortel, et donc ne vit pas, et ne vit pas parce quâil ne souffre pas. Il est harmonieux, mais pas joyeux. Il nâest serein que parce quâil est privĂ© dâexaltation. Apollon est la figure de lâhomme thĂ©orique, avec en prolongement « lâesprit de sĂ©rieux ». Nietzsche, lui, veut ĂȘtre un bouffon, un satyre de Dionysos. Il Ă©crit : « Jâai une peur terrible quâon me canonise un jour. Je ne veux pas ĂȘtre un saint, mieux encore un pitreâŠpeut-ĂȘtre suis-je un pitre ». Dans ce costume, il se reconnaĂźt deux compagnons : Socrate, dont il dit quâil Ă©tait forcĂ© de « se faire passer pour superficiel pour communiquer avec les hommes », et Shakespeare, Ă propos duquel il sâexclame « combien cet homme a du souffrir pour avoir besoin de faire le pitre ». Si tous trois montaient sur scĂšne aujourdâhui, peut-ĂȘtre le feraient-ils avec force grimaces, un nez de clown ou le micro plantĂ© dans lâĆil ! « Câest pas parce quâon est dĂ©connantâŠÂ ».
Il est une autre maniĂšre de traverser la vie au bras de Dionysos, de damer le pion Ă lâesprit de sĂ©rieux, câest le jeu. Pour Nietzsche, la philosophie est un jeu. Faut-il entendre par-lĂ quâelle ne serait quâune activitĂ© purement ludique et superficielle ? Non pas. Mais son sĂ©rieux doit ĂȘtre lĂ©ger, comme lâest celui du joueur qui lance les dĂ©s : la pensĂ©e, comme la vie, doit ĂȘtre un risque de chaque instant. « Devant un tapis clandestin, tu joues ton Ăąme en solitaireâŠÂ ». La vie, comme le jeu, ne cesse de faire varier les combinaisons et les rencontres, nous obligeant Ă sans cesse nous adapter, câest-Ă -dire Ă vivre. Le jeu, câest la profondeur dans la lĂ©gĂšretĂ©. Et que dit Hubert de tout cela ? « Ecrire une chanson, câest quoi ? Un jeu. Si nous les artistes nous ne jouons pas, qui jouera ? Plus on joue, mieux câest (âŠ). Lâintellectualisme nâest lui-mĂȘme quâun jeu de lâesprit et câest mieux que le sentimentalisme qui est un dĂ©bordement de lâĂąme. Tant quâĂ faire, plutĂŽt jouer que de se laisser aller aux dĂ©bordements ». On joue de la pensĂ©e et de la vie comme on joue de la musique : jeux de maux.
Sâil est un autre concept aussi cher Ă Nietzsche quâĂ HFT, câest bien celui de nihilisme. Le problĂšme est quâil sâagit lĂ dâun concept dâune effroyable ambiguĂŻtĂ©, ou, câest selon, dâune rĂ©jouissante plasticitĂ©. Au sens strict, le nihilisme consiste Ă Â proclamer le rien ou Ă affirmer le nĂ©ant. Il nie toute valeur supĂ©rieure et nâaccorde dâimportance quâĂ la destruction et Ă la mort. Il refuse toute forme de contrainte exercĂ©e contre lâindividu et revendique pour lui une libertĂ© absolue. Il Ă©merge historiquement dans ce contexte propice Ă lâeffondrement des idĂ©aux que constitue la fin du 19Ăšme siĂšcle. On en trouve la trace autant dans la poĂ©sie romantique que dans lâaction de quelques anarchistes russes. On peut se demander, par parenthĂšse, si Hubert est si Ă©loignĂ© quâil le dit de lâanarchisme dâun LĂ©o FerrĂ©âŠ
A partir de lĂ , tout dĂ©pend si on prend le nihilisme comme une fin, un Ă©tat dĂ©finitif, ou comme un moyen, une transition nĂ©cessaire. Dans le premier cas, on est chez Schopenhauer, dans le second, chez Nietzsche. En effet, la pensĂ©e nietzschĂ©enne reprend Ă son compte lâidĂ©e que la rĂ©alitĂ© est gĂ©nĂ©ratrice dâillusions, et donc, lorsquâelles ne sont pas reconnues comme telles, de souffrances, mais elle nâaccepte pas la conclusion quâen tire Schopenhauer : pour lui, la seule issue possible rĂ©side, en quelque sorte, dans un renoncement Ă la vie sur le mode de lâascĂšse hindouiste ou chrĂ©tienne. « Pour Ă©chapper aux illusions de la vie, renonçons Ă la vie elle-mĂȘme ! », dit en substance Schopenhauer, et cela, Nietzsche ne peut Ă©videmment lâaccepter. Si le nihilisme est pour lui un excellent moyen de casser les illusions de la mĂ©taphysique, de la religion et de la morale, il ne doit pas pour autant se prolonger en une haine de la vie, telle quâon peut la trouver notamment dans le judĂ©o-christianisme (apologie de la faiblesse, de la souffrance, de la rĂ©signation, du refus du corps, etc.). Si le nihilisme va jusquâĂ nier la vie, nions le nihilisme ! Survivre, mĂȘme « par Ă©lĂ©gance ou par courtoisie », câest toujours accorder la valeur suprĂȘme Ă la vie et Ă ce quâelle nous rĂ©serve de «septembre roses »⊠Câest tout ce qui fait la diffĂ©rence entre le nihilisme passif, qui nâest que fascination morbide, volontĂ© malade, attitude de fuite face Ă la vie, et le nihilisme actif, « signe de la puissance accrue de lâesprit », critique vigoureuse des convenances sociales et ironie mordante (comme chez DiogĂšneâŠ), dans la perspective dâun dĂ©passement de lâhomme par lui-mĂȘme par lâinstauration de nouvelles valeurs et le dĂ©veloppement de la crĂ©ativitĂ©. Laissons Hubert conclure sur ce point : « La crĂ©ation va vers la vie mĂȘme lorsquâelle parle de la mort. La crĂ©ation la plus morbide est un rĂ©flexe vers la vie. Et puis il existe une morale naturelle supĂ©rieure Ă la morale sociale. Le quotidien montre des images trĂšs dures, lâart doit alors faire apparaĂźtre la vie ».
Sâil est une cible privilĂ©giĂ©e du nihilisme nietzschĂ©en, câest bien la religion, et notamment le judĂ©o-christianisme. Celle-ci accorde toute la valeur Ă lâidĂ©al, aux « arriĂšres-mondes », rĂ©vĂ©lant ainsi la haine quâelle porte Ă ce monde quâelle place « ici-bas », ce monde qui aurait chutĂ© hors de lâidĂ©al Ă cause dâune obscure faute de lâhumanitĂ© tout entiĂšre qui nous ferait tous naĂźtre coupables. La religion est aux yeux de Nietzsche lâinvention de ceux qui, Ă©tant incapables de supporter la rudesse de la vie, sâemplissent dâamertume et de ressentiment Ă lâĂ©gard des autres, puis cherchent Ă dĂ©velopper chez eux un sentiment de honte et de culpabilitĂ©. Celui qui souffre comme souffre le religieux ne supporte pas la joie autour de lui. La religion ne cesse de valoriser les fonctions supposĂ©es « nobles » et « supĂ©rieures » de lâhomme, ne voit de rĂ©alitĂ© que dans lâimmatĂ©rialitĂ©, cultive la haine du corps et du plaisir, enserre lâesprit dans un fourmillement de rĂšgles morales qui nâont dâautre fonction que de venir brider la crĂ©ativitĂ© et assurer le contrĂŽle social. Elle psalmodie le mot « amour » pour mieux imposer un amour purement abstrait, qui, Ă travers lâhomme, nâaime quâune fiction : Dieu.
Hubert sâest dĂ©jĂ beaucoup exprimĂ© sur ses dĂ©mĂȘlĂ©es avec son Ă©ducation judĂ©o-chrĂ©tienne. De ses propos se dĂ©gage nettement lâidĂ©e que son rapport Ă la religion, tout comme celui de Nietzsche, nâa pas consistĂ© en un simple et classique passage de la foi Ă lâathĂ©isme. Il en va de Dieu comme de certains virus : on ne sâen dĂ©barrasse jamais complĂštement, on vit avec en espĂ©rant que les symptĂŽmes ne rĂ©apparaĂźtront pas trop souvent ! Ou si lâon en vient Ă bout, la lutte laisse des traces de toute façon. Il suffit pour sâen convaincre de repĂ©rer dans les textes dâHFT (« Zoo-Zumains-ZĂ©bus », « Exercice de simple provocation »âŠou « Lorelei » ? !) lâĂ©mergence plus ou moins visible de thĂšmes tels que la honte ou la culpabilitĂ©. Et que penser de cette conviction commune Ă Hubert et Ă Nietzsche selon laquelle il nây a de solution que dans la rĂ©forme intĂ©rieure et individuelle (se changer soi plutĂŽt que le monde) et pas dans lâaction collective (en gros, la politique) ? Dans une interview, Hubert dit : « A seize ans, jâai tuĂ© Dieu en duel ; câĂ©tait une façon de me rĂ©volter contre mon Ă©ducationâŠJe ne suis pas athĂ©e. Je crois en Dieu, puisque je lâai tuĂ©. ». On ne peut sâempĂȘcher de songer Ă cet aphorisme du « Gai Savoir », que lâon nous pardonnera de citer longuement, oĂč Nietzsche met en scĂšne le personnage de « lâinsensé » : « LâinsensĂ©- Nâavez-vous pas entendu parler de ce fou qui allumait une lanterne en plein jour et se mettait Ă courir sur la place publique en criant sans cesse : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! » Mais comme il y avait lĂ beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu, son cri provoqua un grand rire. Sâest-il perdu comme un enfant ? Se cache-t-il ? A-t-il peur de nous ? Sâest-il embarqué ? A- t-il Ă©migré ? Ainsi criaient-ils et riaient-ils pĂȘle-mĂȘle. Le fou bondit au milieu dâeux et les transperça du regard. « OĂč est allĂ© Dieu ? sâĂ©cria-t-il, je vais vous le dire. Nous lâavons tuĂ©, vous et moi ! Câest nous, nous tous qui sommes des assassins ! (âŠ) Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et câest nous qui lâavons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous meurtriers entre les meurtriers ! Ce que le monde a possĂ©dĂ© de plus puissant et de plus sacrĂ© jusquâĂ ce jour a saignĂ© sous notre couteau ; âŠqui nous nettoiera de ce sang ? (âŠ) La grandeur de cet acte est trop grande pour nous. Ne faut-il pas devenir dieux nous-mĂȘmes pour, simplement, avoir lâair dignes dâelle ? »
Avec ce passage, Nietzsche place Ă un niveau collectif (« NousâŠÂ ») ce quâHubert plaçait Ă un niveau individuel (« JâaiâŠ), ce qui ne change rien sur le fond. Le personnage de lâinsensĂ© (image inversĂ©e de DiogĂšne qui, lui, cherchait un homme avec sa lanterne), rĂ©vĂšle par son discours le fait que la disparition de Dieu comme point de fuite de nos pratiques et de nos pensĂ©es dans les sociĂ©tĂ©s modernes ne constitue pas un simple effacement dâune idole, effacement qui au fond ne nous affecterait pas, mais comme un Ă©vĂ©nement qui engage notre condition dâhomme tout entiĂšre. Cette mort de Dieu est tout autant une mort des valeurs traditionnelles de la sociĂ©tĂ© (le bien, le vrai, le juste, etc.), une volatilisation de tous nos repĂšres, qui nous plonge dans une profonde obscuritĂ© (dâoĂč la lanterne) et nous oblige Ă nous dĂ©passer afin dâen sortir. Pour ĂȘtre Ă la hauteur de lâĂ©vĂ©nement, lâhomme devra se redĂ©finir, se rĂ©inventer. Si lâinsensĂ© semble dâabord prĂ©senter la mort de Dieu comme une catastrophe, câest justement parce que Nietzsche veut nous mettre en garde contre le risque de chute dans un nihilisme passif et mortifĂšre, destructeur de toute volontĂ© et de toute force vitale, un « aquoibonisme », comme on dit parfois, qui nous ferait perdre le goĂ»t de toutes choses et en premier lieu de la vie elle-mĂȘme. Câest pourquoi il prĂŽne le maintien en nous dâun certain (il faut prendre la formule avec prudence) « sens du sacré », mais dâun sacrĂ© immanent, prĂ©sent en nous comme dans les choses. La fin dâun monothĂ©isme castrateur nâenlĂšve rien, par exemple, Ă lâimmense valeur poĂ©tique, psychologique et culturelle des mythologies grecque, romaine et nordique, pour lesquelles ces deux grands assassins de Dieu que sont Hubert et Nietzsche conservent une passion entiĂšre. Et lâinsensĂ© ne sâĂ©crie-t-il pas : « Ne faut-il pas devenir dieux nous-mĂȘmesâŠÂ » ?
Nâallons pas y voir une apologie de la vanitĂ© (« Ne tâenfle pas, car si lâon te pique, tu exploses », Ă©crit Nietzsche) : lâacte de se surmonter soi-mĂȘme procĂšde dâun effort toujours renouvelĂ©, dâun arrachement toujours douloureux, dâun patient cheminement personnel. Et quâest-ce quâun dieu, si ce nâest dâabord un ĂȘtre crĂ©ateur ? VoilĂ le sens de cet appel : chacun doit Ă sa façon devenir crĂ©ateur.
Câest pourquoi tout se rĂ©sout, en derniĂšre analyse, dans la question de lâart. Car qui mieux que lâartiste (le vĂ©ritable artiste, pas le faiseurâŠ) pourrait incarner ce modĂšle du perpĂ©tuel dĂ©passement de soi ? OĂč trouver cette permanente rupture crĂ©atrice avec tous les anciens modĂšles si ce nâest dâabord dans lâart ? Celui-ci constitue en effet lâaboutissement ultime de ce nihilisme crĂ©ateur dont nous parlions plus haut. Il faut prĂ©ciser ce point.
Nietzsche nous pose, en substance, ces quelques questions : pourquoi crois-tu que ce qui tâa toujours Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme « le bien » ou « le vrai » soit vĂ©ritablement le bien et le vrai ? Et encore le serait-ce, quâest-ce qui oblige Ă prĂ©fĂ©rer le « bien » Ă ce que la morale traditionnelle considĂšre comme « le mal » ? Pourquoi prĂ©fĂ©rer la vĂ©ritĂ© Ă lâerreur, au mensonge ou Ă lâillusion ? Pourquoi valoriser ce qui est « logique » contre ce qui ne lâest pas ? La science nâest-elle pas une croyance comme une autre, fondĂ©e sur la foi en la valeur des « preuves » et des « dĂ©monstrations » ? En ne cessant de promouvoir lâaltruisme, les promoteurs de la morale dominante ne visent-ils pas au fond leur intĂ©rĂȘt propre ? Au nom de quoi reprochons-nous Ă quelquâun son Ă©goĂŻsme, si ce nâest au nomâŠde notre propre Ă©goĂŻsme ? Et cette morale, qui ne fait jamais que mâinterdire tout ce qui pourrait me faire plaisir, qui mâastreint Ă la souffrance de lâauto surveillance et de la mauvaise conscience, peut-elle ĂȘtre fondĂ©e sur autre chose que sur un sadisme malsain ? Ces quelques questions, dĂ©jĂ , lĂ©zardent notre adhĂ©sion naĂŻve aux grands idĂ©aux de la sociĂ©tĂ©, que lâĆuvre de Nietzsche, Ă terme, fait voler en Ă©clats. A partir de lĂ , nous avons le choix entre le nĂ©ant et la volontĂ© ferme de recrĂ©er de nouvelles valeurs, fondĂ©es cette fois sur la vie, un nouveau monde, fondĂ© cette fois sur la crĂ©ativité : câest lâart.
LâĆuvre dâart est en effet « par-delĂ le bien et le mal », le vrai et le faux, le juste et lâinjuste, le convenable et lâinconvenant. Qui dira dâune musique quâelle est « vraie » ou « fausse », dâune statue quâelle est « morale » ou « immorale » ? La science, qui prĂ©tend comprendre le monde en plaquant sur lui une grille mathĂ©matique ou en lâinstrumentalisant dans la technique, porte un Ă©gal intĂ©rĂȘt Ă toutes choses. Lâart non. Il choisit, il trie dans le rĂ©el, il omet dĂ©libĂ©rĂ©ment certaines choses et en accentue certaines autres de façon aussi arbitraire quâindiscutable : comment un peintre pourrait-il justifier quâil trouve « intĂ©ressante » une lumiĂšreâŠmais qui pourrait lui contester le droit de le faire ? Tout discours se prĂ©tendant vrai (donc y compris celui-ciâŠ) est de lâordre de la re-prĂ©sentation du monde, alors que lâart est de lâordre de la crĂ©ation. La science, lâhistoire et tous les discours conceptuels se soumettent au « rĂ©el », lâart, lui, invente des mondes. La connaissance procĂšde par concepts (le concept dâhomme, dâarbre, dâanimal, etc.), or le concept est ce qui est commun Ă tous les objets dâune catĂ©gorie donnĂ©e et dĂ©signe donc ce qui a perdu tout caractĂšre individuel. DĂšs lors, il nâest plus quâune ombre, une coquille vide, un schĂ©ma, un nom. Or lâart refuse ce qui est commun, car cela rend commun, câest Ă dire triste, terne, fade et sans vie. Lâart est dâessence fonciĂšrement individuelle, dâune part Ă cause de la dĂ©marche strictement personnelle de lâartiste, dâautre part Ă cause du fait quâil rĂ©vĂšle la nature profonde dâune rĂ©alitĂ© individuelle (dâun objet, dâune personne, etc.) par la traduction quâil en donne. Nây a-t-il pas infiniment plus de « vĂ©rité » sur lâamour dans une seule chanson de Brel que dans tous les livres sur les hormones ? Nietzsche Ă©crit : « Lâhistoire et les sciences de la nature furent nĂ©cessaires contre le Moyen-Age : le savoir contre la croyance. Contre le savoir, dirigeons maintenant lâart : retour Ă la vie ! »
Il nây a donc pas de VĂ©ritĂ© absolue, il nây a que des interprĂ©tations du monde : de fait, « lâordre des humains nous sert dans son cocktail / 5 milliards de versions diffĂ©rentes du rĂ©el ». Câest ce que Nietzsche appelle le perspectivisme. La connaissance nâest pas la contemplation froide dâune rĂ©alitĂ© prĂ©tendument objective, câest la focalisation dâinstincts et de passions sur un fragment de ce chaos quâest la rĂ©alitĂ©, focalisation organisĂ©e autour des intĂ©rĂȘts vitaux de lâindividu. Nietzsche se rĂ©vĂšle bien un prĂ©curseur de Freud (cette remarque est dâimportance pour notre propos) en ce quâil montre que la conscience est « tard-venue » dans lâhistoire du vivant, et quâelle flotte sur un ocĂ©an de pulsions obscures. A y regarder de prĂšs, est-ce « moi » qui pense, ou les idĂ©es me viennent-elles comme elles veulent et quand elles veulent ? Nous ne dĂ©cidons pas dâavoir une idĂ©e, car pour le faire, il faudrait dĂ©jĂ lâavoir eue ! « Le moi nâest pas maĂźtre dans sa propre maison », dira Freud. Mais le savant, le religieux, le moraliste ou lâhomme de la rue cherche toujours Ă justifier ses propos et ses attitudes, sans apercevoir quâune telle entreprise a nĂ©cessairement son « point aveugle », par exemple la valeur accordĂ©e au principe-mĂȘme dâavoir Ă se justifier. Si « cohĂ©rent » que soit mon discours, il nâest jamais que la rationalisation rĂ©troactive de « choix » opĂ©rĂ©s en amont sans que je ne puisse jamais savoir ni pourquoi ni comment. La croyance en un monde stable et permanent, que lâon puisse connaĂźtre grĂące Ă une raison aux structures Ă©ternellement fixes, dĂ©bouchant sur lâĂ©laboration de systĂšmes jugĂ©s dâautant plus vrais quâils seront figĂ©s et abstraits (les concepts de la mĂ©taphysique, les dogmes religieux, les Ă©quations de la scienceâŠ), tout cela nâest quâillusion. Le monde nâest jamais que perpĂ©tuel changement, incessante transformation des choses qui font que rien nâexiste qui soit permanent et identique Ă soi : « Tout coule », disait HĂ©raclite.
Câest dans ce contexte que se rĂ©vĂšle toute la valeur de lâart. Comme tout le reste, il est source dâillusion, mais lui le sait, le veut et le revendique. Lâart ment, mais il ment en toute bonne conscience, enfin libĂ©rĂ© du poids de la condamnation morale. Nous sommes jouĂ©s par le peintre qui, par sa maĂźtrise de la perspective, donne au tableau une apparence de profondeur, le cinĂ©aste qui nous arrache à « la rĂ©alité », lâacteur qui, comme disait Diderot, « nous fait partager des sentiments quâil ne ressent pas » : câest dans cette duperie que rĂ©side le bonheur de lâart. Il est, Ă©crit Nietzsche, « un culte de lâerreur » ou « la bonne volontĂ© de lâillusion ». Si dans la vie nous condamnons le mensonge au nom de soi-disant grands principes moraux, câest en fait parce que nous redoutons les consĂ©quences nĂ©fastes des mensonges dâautrui Ă notre Ă©gard. Dans lâart, rien de tout cela : on peut batifoler dans lâillusion avec lâinnocence dâun enfant qui joue.
Tous les courants philosophiques ont en commun, au-delĂ de toutes leurs diffĂ©rences, la condamnation de lâillusion : Nietzsche, lui, en fait lâapologie. A travers elle sâopĂšre la jonction entre lâart et la vie. En effet, lâillusion fait vivre, elle aide Ă vivre en rendant lâexistence supportable. Comme en Ă©cho, Hubert dit, Ă propos de la lucidité : « Chez moi, câest synonyme dâennui. Je me suis toujours beaucoup ennuyĂ© (âŠ). La luciditĂ©, il ne faut pas en abuser. Câest pour ça que jâaime bien tout ce qui me rend un peu moins lucide ! ». Lâillusion est inhĂ©rente Ă la vie, comme le montrent les incroyables « stratĂ©gies » mises en Ćuvre dans le monde animal ou vĂ©gĂ©tal pour Ă©chapper aux prĂ©dateurs, ne pas ĂȘtre repĂ©rĂ© par les proies, se reproduire, etc. Rien nâest plus conforme au mouvement de la nature que la dissimulation, le travestissement, le masque. Et cette belle imposture, ne la retrouve t-on pas chez celui qui, peut-ĂȘtre, parle de sexe pour mieux parler dâamour, ou qui Ă©crit : « de nature solitaire, je me terre pour me taire/mais mon double pervers joue dans un groupe de rock » ?! Lâart est une illusion nĂ©cessaire, câest un phĂ©nomĂšne vital, pulsionnel, passionnel. La vĂ©ritĂ© et la morale sont les cadets de ses soucis. « Nous avons lâart, dit Nietzsche, afin de ne pas mourir de la vĂ©rité ». Ainsi que nous lâĂ©voquions plus haut, nous ne contrĂŽlons pas notre flux psychique, lâĂ©mergence et la disparition de nos idĂ©es, mais nous avons peur de lâaccepter, car le sentiment de contrĂŽle est sĂ©curisant. Lâartiste, lui, accepte jusquâau bout cette rĂ©alitĂ©, il cherche mĂȘme Ă lâentretenir, il en joue, il en jouit : câest « lâinspiration », qui nâempĂȘche pas le travail, bien au contraire, et dont on trouvera peut-ĂȘtre le modĂšle le plus abouti dans la pratique de lâĂ©criture automatique par les surrĂ©alistesâŠet par Hubert !
Lâart est une adhĂ©sion Ă la vie, car ce que lâartiste et la vie ont en commun, câest de toujours crĂ©er. Ni lâart ni la vie nâont cessĂ© de produire des ĂȘtres nouveaux, des formes nouvelles, des tendances nouvelles, et tout cela de façon parfaitement imprĂ©visible. Lâart, et notamment la musique, est la seule chose qui Ă©pouse le mobilisme universel du monde : il « coule » avec lui. Il prolonge lâĂ©lan mĂȘme de la vie. Nietzsche dĂ©signe cela par une expression souvent mal comprise : la « volontĂ© de puissance ». Celle-ci nâa rien Ă voir avec une quelconque volontĂ© dâĂ©craser autrui : elle sâexerce dâabord sur soi-mĂȘme. Elle est un acte dâadhĂ©sion Ă la vie, une tendance vitale Ă se renforcer toujours, une volontĂ© de maĂźtrise des forces de la nature et de ses propres passions qui ne soit pas une fin en soi mais un moyen pour survoler les choses, de danser sur le monde. On ne la trouve jamais si bien exprimĂ©e que dans lâart. Ce que Nietzsche appelle la « force artiste » est une puissance crĂ©atrice qui assume la totalitĂ© de ce que nous sommes, sans chercher Ă nous scinder en deux, en mettant dâun cĂŽtĂ© le bon, le bien, le vrai, le rationnel, le sage, et de lâautre le mauvais, le violent, le faux, le pulsionnel, le passionnel et le dĂ©raisonnable. Il Ă©crit : « Lâhomme a besoin de ce quâil y a de pire en lui sâil veut parvenir Ă ce quâil a de meilleur ». Il sâagit dâaccepter cette grande part animale qui demeure en nous, pour mieux la transformer en Ă©nergie crĂ©atrice, pour mieux la sublimer. Nous sommes ici trĂšs proches de lâapproche freudienne. Hubert dit des choses fortement convergentes : « Lâamour, pour moi, fait partie de lâinstinct de survie. LâamitiĂ©, elle, fait partie de lâinstinct grĂ©gaire sublimĂ©. Je crois beaucoup Ă lâinstinct. Je suis trĂšs animal ».
Mais pour jouer, pour danser, il faut ĂȘtre lĂ©ger, et pour cela, sâĂȘtre dĂ©lestĂ© du poids du souvenir : quoi de plus oublieux quâun animal ? Ses sens et son instinct lui permettent des « performances » que nous prenons, de façon trĂšs anthropomorphique, pour de la mĂ©moire, mais il sâagit chaque fois pour lui dâune expĂ©rience « intellectuellement » nouvelle. Lâanimal, « ce parfait cynique », dit Nietzsche. Lâoubli, entendu comme vertu positive, comme oubli nĂ©cessaire, est lâun de ses thĂšmes favoris. En effet, le contrĂŽle social, la morale, la religion sont construits sur une culture de la mĂ©moire : on nâenchaĂźne jamais lâhomme que par le souvenir, souvenir des fautes passĂ©es, des « grands principes » inculquĂ©s par la contrainte, voire la violence, souvenir des promesses faites et des engagements pris, souvenir des « traditions » qui nâont de valeur que par leur anciennetĂ©, souvenir de toutes ces raisons que nous pourrions avoir de cultiver en nous le dĂ©sir de vengeance, etc. Pas de sentiment de culpabilitĂ©, pas de punition possible sans la mĂ©moire. Elle est ce par quoi on a tentĂ© dâinterrompre lâessentielle fluiditĂ© du devenir pour attacher lâhomme au piquet de lâinstant passĂ© et lâempĂȘcher finalement de vivre lâinstant prĂ©sent : celui qui aurait une « mĂ©moire totale » ne vivrait plus. Nos moments de plaisir et de bonheur sont toujours des moments dâoubli. Si un bonheur est possible, dit Nietzsche, câest grĂące à « la facultĂ©, pendant la durĂ©e de ce bonheur, de sentir dâune maniĂšre non-historique ». Lâoubli nietzschĂ©en doit ĂȘtre pensĂ© comme une «digestion », une assimilation, au sens strict du terme, câest-Ă -dire une capacitĂ© à « rendre mĂȘme » ce qui Ă©tait au dĂ©part Ă©tranger : ce nâest pas un abrutissement mais un enrichissement. La vraie culture est celle qui sâoublie dans la crĂ©ation. Peut-ĂȘtre est-ce ainsi quâil faut comprendre Hubert lorsquâil dit : « Jâai une qualitĂ© suprĂȘme, presque biologique : jâoublie tout. Je suis toujours en train de renaĂźtre parce que je nâarrive pas Ă accumuler le passé ».
Lâoubli est la condition de tout prĂ©sent. Comme lâanimal qui vit, comme lâenfant qui joue, il nous faut retrouver cette aptitude Ă Ă©chapper Ă la fluiditĂ© temporelle rendue presque palpable par le souvenir du passĂ© et lâanticipation de lâavenir. Il faut quitter lâhomme du ressassement pour devenir celui de lâacquiescement, de lâacquiescement Ă lâinstant. Il faut sâabandonner au paradis de lâinstant, cesser de vivre en coupable, cesser de culpabiliser les autres, et oser vivre un seul instant sans honte, haine, regret ou remord. LĂ rĂ©side cette « volontĂ© de puissance » dont nous parlions : elle est pure force dâadhĂ©sion Ă lâinstant prĂ©sent.
Il est une autre maniĂšre de renvoyer Ă cette adhĂ©sion, que Nietzsche illustre, de façon apparemment paradoxale, par le thĂšme de « LâEternel Retour ». Ici, bien sĂ»r, tout aficionado qui connaĂźt « son Thiefaine » songe immĂ©diatement Ă la fin de « Zone Chaude » : « Jâvais pâtâĂȘt attendre avant dâmourir dâamour / jâentends des cons qui causent dâun Ă©ternel retour / et jâai pas trĂšs envie dârepartir Ă zĂ©roâŠÂ ». On lâaura compris, il ne sâagit pas ici de tenter de « sauver la cohĂ©rence » des positions dĂ©veloppĂ©es par Hubert mais dâen proposer simplement une lecture. Pour ce faire, on peut remarquer quâil existe diffĂ©rentes doctrines affirmant « lâEternel retour », notamment dans le monde du mythe et chez les StoĂŻciens (Ă©cole philosophique importante en GrĂšce et Ă Rome, du IIIĂšme siĂšcle avant JC au IIĂšme aprĂšs). Celles-ci se caractĂ©risent par une conception « optimiste » de lâidĂ©e selon laquelle lâhistoire de lâunivers est cyclique, dans la mesure oĂč cela ne rendrait aucun Ă©vĂ©nement irrĂ©parable, ce qui nous permettrait de devenir « sages » : câest un Ă©ternel retour rassurant et apaisant, correspondant au dĂ©sir de nâĂȘtre pas inquiet face Ă la vie. Les choses sont assez diffĂ©rentes chez Nietzsche. Chez lui, en effet, lâĂ©ternel retour caractĂ©rise dâabord un Ă©tat de la volonté : câest lâĂ©tat de la volontĂ© lorsquâelle veut vraiment, câest-Ă -dire lorsquâelle est capable de vouloir toujours ce quâelle a voulu une fois. Câest lĂ que se rejoignent instant et Ă©ternitĂ©. Comment savoir si jâadhĂšre vraiment Ă lâinstant ? Je dois pouvoir vouloir que cet instant se rĂ©pĂšte Ă lâinfini. Si je le peux, sâouvre alors Ă moi la perspective dâune joie dionysiaque : « la joie veut lâĂ©ternitĂ© de toute chose ». Nous repoussons toujours Ă demain le moment de commencer Ă jouir, nous attendons pour ĂȘtre heureux que « toutes les conditions soient rĂ©unies » (mais elles ne le sont jamais !), nous brĂ»lons dâespoir, tandis que parallĂšlement nous vivons dans le souvenir et le regret de nos moments de bonheur passĂ©s (sans que nous ne les ayons vus passer) : toujours demain, toujours hier, mais jamais aujourdâhui. Et ainsi passe la vie : « nous mourrons affairĂ©s », dit LucrĂšce. LâEternel Retour, câest la cĂ©lĂ©bration du bel aujourdâhui, lâamour de ce qui est ici et maintenant, la force de transformer « tous les âce futâen des âtel je le voulais, tel je le voudraiâ », le courage dâembrasser le rĂ©el, lâantithĂšse mĂȘme du bonheur frileux du bourgeois. Dans « Zarathoustra », Nietzsche compare lâamour de lâĂ©ternitĂ© Ă lâamour dâune femme : quel plus bel hymne Ă lâEternel Retour que « Zone Chaude » !?
Terminons par une rapide Ă©vocation de la relation entre Nietzsche et Wagner. Il ne saurait ĂȘtre question de relater par le menu cette histoire faite dâadmiration et de rejet, dâamitiĂ© et de jalousie, de passions orageuses et de froideur, dâespoir et de dĂ©ception. Entre la date de leur rencontre (1868) et celle de leur rupture dĂ©finitive (1879) sâĂ©coulent onze annĂ©es, dâune telle densitĂ© humaine, intellectuelle et artistique quâelle dĂ©passe largement le cadre de notre propos. Nous nous bornerons donc Ă pointer dans cet Ă©pisode ce qui peut, lĂ encore, enrichir notre rapport au travail dâHFT, notamment par lâanalyse de cette Ă©trange relation triangulaire qui sâinstalle entre lâartiste, son Ćuvre et le public. Et puis nâest-ce pas Hubert lui-mĂȘme qui suggĂšre ce rapprochement : « Question : câest quoi le romantisme pour Hubert-FĂ©lix Thiefaine ? RĂ©ponse : Câest lâĂąme allemande. Lâorage et la passion, « Sturm und drang ». Câest violent ! Câest une sensibilitĂ© Ă fleur de peau. Les romantiques ne font pas que pleurer et dĂ©clamer des vers au clair de luneâŠCâest Wagner, le mal compris. Câest aussi Nietzsche, quelque part. Câest une ardeur, un appel vers le haut. »
En effet, Nietzsche et Wagner ont en commun une inspiration romantique, mĂȘme si leur rapport Ă ce romantisme Ă©voluera dâune façon tellement diffĂ©rente que lâon peut se demander sâils parlaient bien de la mĂȘme chose. Nietzsche a cru trouver en Wagner celui qui allait incarner tout lâidĂ©al esthĂ©tique que nous avons Ă©voquĂ© plus haut, le musicien de lâavenir, lâexplorateur dâun univers nouveau, celui qui allait faire renaĂźtre la tragĂ©die Ă partir de lâesprit de la musique. A lâĂ©poque de leur rencontre, Wagner est aux yeux de Nietzsche celui qui va rompre avec cette maniĂšre dĂ©sormais si rĂ©pandue de considĂ©rer lâart comme un loisir, un luxe, un passe-temps pour le bourgeois qui cherche Ă tromper son ennui, pour faire revivre sous une forme nouvelle lâidĂ©al dionysiaque et lâinstinct artistique Ă©touffĂ© par des siĂšcles de rationalisme occidental. Wagner sâattaque aux structures de lâopĂ©ra de son temps, boursouflĂ©es de rationalisme, explicatives jusquâĂ la nausĂ©e, en y injectant tout le pessimisme quâil trouve chez Schopenhauer, toute la passion du romantisme, pour transformer lâopĂ©ra en « drame musical ». Face au style acadĂ©mique et guindĂ©, Wagner est par essence le musicien « inactuel », en avance sur son temps. Nietzsche partage avec le compositeur (comme aujourdâhui avec dâautresâŠ) une mĂȘme fascination pour les mythologies germaniques et nordiques, le brouillard et lâhumiditĂ©, le dĂ©sordre et lâobscuritĂ©. Il loue chez lui la capacitĂ© dâapprendre en « digĂ©rant » et son goĂ»t de la solitude (cf. supra).
Dans ces premiĂšres annĂ©es de leur relation, Nietzsche sâefforce en fait de rĂ©pondre Ă une attente formulĂ©e par Wagner dans un texte de 1851, dans lequel il traite du rapport entre lâartiste et ses « amis » proches ou lointains. Il y montre que seul lâami qui compatit (littĂ©ralement « qui ressent avec ») avec lâartiste peut comprendre lâĆuvre : câest la douleur partagĂ©e. Lâami est celui qui sait les souffrances de la crĂ©ation, les intentions de lâĆuvre et les obstacles rencontrĂ©s. Contrairement au critique dâart (« en camisole pour une urgence »âŠ), lâami refuse de juger lâĆuvre Ă lâaune du passĂ© et de ses monuments : il sait quâelle est tout entiĂšre tournĂ©e vers lâavenir, ouverte a priori aux changements futurs. Lâart ne peut changer la vie que de ceux qui y Ă©taient disposĂ©s. Les amis offrent Ă lâartiste les conditions de crĂ©ation favorables que la vie lui refuse parfois. Sâinscrivant dans ces perspectives, Nietzsche indique que lâĆuvre crĂ©e autour dâelle une sorte de communautĂ©, une « communautĂ© de sens » : la musique, notamment, pallie les carences du langage et rassemble ceux qui connaissent la dĂ©tresse de lâincommunicabilitĂ©, sans pour autant abolir lâindividualitĂ© ni la part de solitude qui sây rattache. Il faut, sur ce point encore, citer Hubert : « Lorsque le public chante mes textes avec moi, sur scĂšne, je me dis que câest parce quâil existe un inconscient collectif, parce que ça les touche comme ça mâa touché ». Un peu plus loin, il ajoute : « (A Bercy), je ne parlais pas Ă 17 000 personnes mais Ă une plus une, plus une plus une jusquâĂ ce que ça fasse 17 000 ». Et ailleurs : « Moi, ma sociĂ©tĂ© idĂ©ale, câest une sociĂ©tĂ© oĂč les solitudes se frĂ©quentent ». Etonnante communautĂ© de pensĂ©eâŠ
Mais assez rapidement la ligne de fracture entre Nietzsche et Wagner commence Ă se dessiner. Elle deviendra un abĂźme. Les raisons en sont multiples et complexes. Passons sur les motifs personnels : Nietzsche est toujours amoureux de Cosima LisztâŠqui Ă©pouse Wagner, celui-ci rĂ©serve un accueil assez froid Ă un texte de Nietzsche qui faisait pourtant son apologie (la « QuatriĂšme Inactuelle »), etc. Le philosophe en conçoit une certaine amertume. Mais ce sont surtout les raisons de fond qui se rĂ©vĂšlent dĂ©terminantes. Wagner fait sienne la doctrine de Schopenhauer sur le point prĂ©cis qui avait amenĂ© Nietzsche Ă rompre avec elle : face Ă cette illusion quâest le monde, Wagner invite dans ses livrets dâopĂ©ras Ă non pas lâassumer virilement comme le propose Nietzsche, mais Ă se rĂ©fugier dans le renoncement ascĂ©tique de type oriental, avant de finalement verser dans le mysticisme chrĂ©tien. Câest la rupture du « Parsifal », oĂč Wagner valorise un hĂ©ros trĂšs religieux, mi-chrĂ©tien mi-bouddhiste, refusant lâattrait du « pĂ©chĂ© de chair ». Nietzsche Ă©crit quâavec cette Ćuvre, Wagner « sâeffondre au pied de sa croix chrĂ©tienne ». Lâartiste nâa pas Ă se mettre au service dâune quelconque mĂ©taphysique, a fortiori lorsquâelle est Ă ce point castratrice : il devient alors ce que Wagner tend Ă devenir en plaçant au centre de ses opĂ©ras les thĂšmes de la rĂ©demption, de la chastetĂ© ou de la puretĂ©, câest-Ă -dire un « ventriloque de Dieu » ou le « tĂ©lĂ©phone de lâau-delà  » ! Qui pis est, Wagner se laisse gagner, selon Nietzsche, par tout ce que celui-ci dĂ©teste dans « lâĂąme allemande » telle quâelle se manifeste Ă lâĂ©poque : la lourdeur, le pan-germanisme lâantisĂ©mitisme. MĂȘme la musique de Wagner ne trouvera bientĂŽt plus grĂące aux yeux de son ancien ami.
Mais ce qui nous intĂ©resse ici au premier chef, ce sont les motifs de rupture que dĂ©cĂšle Nietzsche dans lâĂ©volution du rapport de Wagner, dâabord Ă lui-mĂȘme, ensuite Ă son public. Non seulement il devient de plus en plus conscient de son gĂ©nie, mais il en donne une prĂ©sentation de plus en plus fallacieuse en le faisant passer pour une inspiration qui tomberait comme une sorte de grĂące, tandis que Nietzsche sait que la crĂ©ation artistique reprĂ©sente en fait beaucoup de temps, de travail et de souffrance (aprĂšs avoir citĂ© quelques chansons Ă©crites rapidement, Hubert ajoute : «Il nâempĂȘche que lâune de mes chansons prĂ©fĂ©rĂ©es est Les dingues et les paumĂ©s, que jâai traĂźnĂ©e pendant deux ans sur 60 000 km… »). Le philosophe va reprocher au compositeur non pas dâavoir du succĂšs, car qui pourrait faire Ă un artiste un tel reproche, mais de sâenivrer de ce succĂšs jusquâĂ y dissoudre toute aptitude Ă une vĂ©ritable crĂ©ation, et dâacquĂ©rir ce succĂšs en « servant » au public ce quâil pense attendre de lui. Lâartiste de lâavenir, le musicien inactuel est devenu un dĂ©magogue « branlĂ© Ă blanc par la gloriole ». VoilĂ dĂ©sormais Wagner « à la mode », replongĂ© dans son temps, dans une « modernité » faite de dilettantisme artistique, de caprices, de mondanitĂ©s et de mauvais journalisme. Celui qui avait su mettre en musique les mythes, cette « poĂ©sie anonyme des peuples » Ă©crit Nietzsche, privilĂ©gie dĂ©sormais le clinquant et le spectaculaire sur lâauthentique, versant ainsi dans la « dĂ©molĂątrie », lâidolĂątrie du peuple, câest-Ă -dire la vulgaritĂ©. En faisant construire le théùtre de Bayreuth et en y organisant le festival du mĂȘme nom, Wagner Ă©rige un temple Ă sa propre gloire pour y cĂ©lĂ©brer la grand-messe wagnĂ©rienne. Le groupe dâamis devient un groupe de disciples bĂȘlants. Pour Nietzsche, vouloir ĂȘtre reconnu et admirĂ©, sâefforcer de plaire et de sĂ©duire, câest ĂȘtre incapable dâexister autrement que dans et par le regard des autres, câest donc au fond ĂȘtre faible. Il faut citer ici, comme en Ă©cho, cet extrait de conversation entre Eric Issartel et Hubert (HFT News n°10) :
« E.I : Oscar Wilde disait : « Un artiste qui tient compte de ce que veulent les gens et tente de satisfaire leur demande cesse dâĂȘtre un artiste ». NĂ©anmoins, les artistes ne sont-ils pas obligĂ©s de faire quelques concessions aujourdâhui ?
HFT : Un artiste qui cĂšderait Ă cette logique serait dans lâerreur totale. En ce qui me concerne, je fais ce que jâai envie de faireâŠ
E.I : Avec ta seule conscience artistique comme guide ?
HFT : ComplÚtement. Oscar Wilde a raison. »
Lâhistoire de la relation entre Nietzsche et Wagner Ă©claire dâune lumiĂšre toujours actuelle le lien qui unit, qui peut unir, qui doit unir un artiste, son Ćuvre et le public. Force est de constater quâil sâagit lĂ dâune alchimie des plus complexes, dans laquelle lâattitude du public se caractĂ©rise parfois, il est vrai, par un certain conservatisme. Câest son droit, certes, mais quâil ne demande pas Ă lâartiste de cesser dâĂȘtre ce quâil est, de cesser de crĂ©er, de chercher, de fouiller, laissant derriĂšre lui des Ćuvres qui prendront leur envol, auront leur autonomie et leur histoire propre. Lâartiste, lui, est dĂ©jĂ plus loin, plus haut, ailleurs. Le suive qui veut. Et qui peut.
Laurent Van Elslande
(1) Afin dâallĂ©ger le texte, nous avons supprimĂ© toutes les rĂ©fĂ©rences des citations. Celles de Nietzsche sont tirĂ©es de ses Ćuvres, notamment Le gai-savoir, Ainsi parlait Zarathoustra, ou La gĂ©nĂ©alogie de la morale, celles dâHubert sont tirĂ©es de ses textes, dâinterviews publiĂ©es dans « Chorus » et dans « HFT News », ou encore de propos recueillis lors de son passage au lycĂ©e dâAbbeville le 10 janvier 2000.
Bonjour,
Je viens de lire votre bel hommage Ă Nietzsche, permettez-moi de vous faire dĂ©couvrir le manuscrit Ă©volutionnaire que je viens de consacrer Ă ce gĂ©nial dĂ©fricheur d’Ă©ternitĂ© !
Bien cordialement,
Patrice Sanchez
MA REDĂCOUVERTE DU PRINCIPE FONDAMENTAL DES ĂMES SOEURS ĂTERNELLES
DE LA POSSIBILITĂ DâUN NOUVEAU MODE DE PENSĂE D’INSPIRATION PSYCHOLOGIQUE NIETZSCHĂENNE QUI POURRAIT DONNER ACCĂS Ă LA MĂMOIRE DE LâUNIVERS POUR UNE RENAISSANCE DEÂ LA SCIENCE ET DE L’HUMANITĂ…
Je tenais Ă porter à votre connaissance la copie du courriel envoyé à l’intention de Mr le PrĂ©sident de la RĂ©publique, de Mr le Directeur du Cnrs ainsi que de la communautĂ© des Chercheurs.
Bonjour Mesdames et Messieurs,
Veuillez trouver en piĂšces jointes mon courriel Ă©crit Ă l’intention du PrĂ©sident de la RĂ©publique, suivi de mon Texte de prĂ©sentation ainsi que mon Manuscrit Ă propos d’un mystĂšre Ă©ternel qui pourrait ĂȘtre source de Renaissance pour la recherche Fondamentale et pour l’HumanitĂ©.
LA CONNEXION UNIVERSELLE SUPRA-HUMAINE AINSI PARLAIT UN HOMME ET RIEN QU’UN HOMME LE PRINCIPE DES ĂMES SOEURS ĂTERNELLES RĂVĂLĂ ou L’ODYSSĂE CHEVALERESQUE DU NAVIGATEUR DE LâAPOCALYPSE CĂRĂBRALE ET DE LA RENAISSANCE DES ĂMES SOEURS ĂTERNELLES  SOUS LE SOLEIL DE MINUIT DE NIETZSCHE/ZARATHOUSTRAÂ
 Dans mon manuscrit; j’Ă©cris ceci Ă l »intention de la communautĂ© nietzschĂ©enne :  » Mesdames et Messieurs de la communautĂ© nietzschĂ©enne, grĂące Ă la lecture de vosouvrages et les traductions de Friedrich Nietzsche, vous mâaviez donnĂ© l’opportunitĂ©d’acquĂ©rir les codes d’accĂšs pour dĂ©buter dans lâĂ©tude de la PensĂ©e du gĂ©nial Philosophe.ce qui mâaura donnĂ©, bien des annĂ©es plus tard, lâenvie dâexplorer plus avant lâOeuvre dece dĂ©fricheur dâĂ©ternitĂ© et je tenais Ă vous en remercier tout particuliĂšrement, tout commela contribution de ce cher Pierre HĂ©ber-Suffrin Ă lâĂ©dition de mon autobiographie aura Ă©tĂ©dĂ©terminante dans mon odyssĂ©e ; cependant, ma personne importe peu dans â cette Aventure du devenir collectif de l’HumanitĂ© et cette OdyssĂ©e de la Renaissance de  » la PensĂ©e Psychologique Ă©ternellle â, câest pourquoi, je nâai quâune seule espĂ©rance dorĂ©navant, lâespĂ©rance que lamonumentale contribution de Friedrich Nietzsche Ă la Fondation des bases dâune Science Universelle soit reconnue par toutes les Institutions Internationales et comme je lâai Ă©crit Ă maintes reprises tout au long de mon TĂ©moignage : je souhaite ardemment que lesChercheurs de mon Pays, la France, soient Ă lâorigine de cette possibilitĂ© dâun NouveauMonde de PensĂ©es, quâils sâemparent de cette redĂ©couverte Ă©volutionnaire Fondamentale des Ăąmes soeurs Ă©ternellles dans leDessein Spirituel de â la Renaissance de notre HumanitĂ© â comme lâĂ©crivait Albert Camusen parlant de Nietzsche dans â Lâhomme rĂ©voltĂ© â : â Nietzsche nâa jamais pensĂ© quâenfonction dâune apocalypse Ă venir, non pour lâexalter, car il devinait le visage sordide etcalculateur que cette apocalypse finirait par prendre, mais pour lâĂ©viter et la transformer enrenaissance. âJe fais un rĂȘve, Mesdames et Messieurs les Chercheurs, le rĂȘve que la Franceredevienne un Phare pour toutes les autres Nations et quâainsi, elle montre le Capde la DĂ©livrance et du RĂ©enchantement de notre Monde grĂące Ă la Future Science de  » la Reliance et de la Guidance Psychologiques Quantiques  » … et jâaime autant vous assurer que tout lĂ haut, de leurs promontoire d’Ă©ternitĂ©, Nietzsche/Zarathoustra,les deux scintillants CompĂšres â, les deux SĂ©maphores Ă©toilĂ©s de la Renaissance â,vous observent trĂ©pignant dâimpatience et riant Ă gorges dĂ©ployĂ©esâŠÂ  »
Bonne lecture,
Patrice Sanchez
Mon Manuscrit
https://drive.google.com/file/d/1N_ii0H0U3KiVSd2J2tGIe6zMaGVf79-L/view?usp=sharing
peut etre Cioran……….. les phylosophes grecq n sont ils pas mysogines bcp d contradiction ….en ces temps de paritĂ© verbale
et la phylosophie de l’image’ la presentation de soi , l’integritĂ© c n’est pas une valeur sure dans le showbiz mais pour le public qu’en est il ?
les annees cinquantes sont particulierement branchées en cemoment ici et outre atlantique je ne met pas en doute que quelques influences soient une sorte de leimotiv
on retrouve par ailleurs a tr
je doute un peu qu’actuellement un artiste ne soit guidĂ© que par ses veritables desirs artistiques compte tenu de l’incidence de l’economique dans la culture plutot commerciale today noamment in france???????????????